Les temps sont durs pour TotalEnergies

Le groupe énergétique TotalEnergies se retrouve depuis plusieurs semaines sous les feux de la rampe, entre tergiversations pour quitter la Russie, accusations de greenwashing ou, plus général aux compagnies pétrolières, hausse du tarif de l’essence à la pompe. Son action a perdu 10 % depuis mi-février,

Une présence en Russie décriée

Le 24 février 2022, les troupes russes ont envahi l’Ukraine, atteignant ainsi le point culminant d’une crise diplomatique et militaire entre les deux pays depuis 2014. Très vite, cette invasion d’un pays souverain a entrainé de vives protestations à travers le monde ainsi que des sanctions économiques contre le Kremlin. En plus des États, les multinationales participent aussi à la mise au ban de la Russie au sein de la communauté internationale, avec notamment l’arrêt des opérations de McDonald, Coca-Cola, LVMH, etc. Mais dans cette multitude de retraits, certaines entreprises semblent moins pressées de quitter le pays des tsars, et c’est le cas du français TotalEnergies. Si le gouvernement n’a pas émis de directives précises quant à la continuité des activités des entreprises de l’Hexagone en Russie, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a tout de même évoqué un « problème de principe » concernant le fait de travailler avec l’agresseur russe.

Comme la plupart des entreprises et gouvernements occidentaux, TotalEnergies a évidemment condamné « l’agression militaire » initiée par la Russie. Le producteur d’électricité et de gaz a aussi annoncé un soutien au pays agressé, à travers la fourniture de carburant aux autorités et promis de fournir assistance aux réfugiés fuyant la guerre. De plus, l’entreprise a ajouté qu’elle ne fournira « plus de capital à de nouveaux projets en Russie ». Ces mesures sont insuffisantes, relèvent pourtant de nombreuses associations, hommes politiques et même actionnaires de l’entreprise. Dans une correspondance adressée au directeur général Patrick Pouyanné, l’Église d’Angleterre, qui détient une participation dans TotalEnergies à travers son fonds de pension, a ainsi demandé à l’entreprise de quitter la Russie comme ses homologues britanniques BP et Shell. Même son de cloche du côté Clearway Capital qui a appelé le conseil d’administration à voter pour l’arrêt de toute opération et tout investissement sur le sol russe.

Les pertes attendues en cas de départ de la Russie

En Russie, TotalEnergies réalise 3 à 5 % de son chiffre d’affaires global, d’après la direction. Un départ du pays représenterait donc quelques milliards de dollars de recettes en moins. Pourtant, ce n’est pas la première crainte du groupe énergétique français. Sous la pression des autorités d’outre-Manche, le départ de BP de la Russie se fera par exemple au prix de milliards d’euros de pertes, car le groupe devrait vendre sa participation dans la précipitation (et probablement au rabais) son intérêt 19,75 % dans Rosneft. La valorisation de cette participation dans le deuxième producteur russe de pétrole était estimée fin 2021 à 12,4 milliards d’euros. C’est donc à un risque similaire que s’expose TotalEnergies, qui détient 19,4 % d’intérêts dans le géant russe du gaz Novatek. Cela ne s’arrête pas là. La compagnie française a intensifié ses investissements au cours des dernières années et possède pêle-mêle une participation de 10 % dans Artic LNG 2, un projet de production de 19,8 millions de tonnes par an de gaz naturel liquéfié et pour lequel une décision finale d’investissement a été approuvée depuis septembre 2019. 10 %, c’est aussi l’intérêt détenu dans un projet similaire de gaz naturel dans le nord de la Russie et devant approvisionner les marchés mondiaux dès 2023. TotalEnergies détient enfin 20 % de participations dans Yamal LNG, projet ayant livré plus de 18 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié en 2020. La Russie occupe ainsi une place essentielle dans la production actuelle du groupe français. En 2020, la compagnie a ainsi obtenu 17 % de sa production pétrogazière à partir de l’ex-URSS. Le pays abrite en outre 24 % des réserves totales de la compagnie à travers le monde.

« Si le groupe s’accroche à la Russie, cela peut aussi tenir au fait qu’il a déjà engagé des investissements sur le long terme », indique au Monde Francis Perrin, directeur à l’Institut de relations internationales et stratégiques.

Car la Russie n’est pas seulement un important fournisseur actuel du groupe français. Le géant d’Europe de l’Est est au cœur de la stratégie de la compagnie visant à devenir un acteur majeur de la transition énergétique, à travers ses investissements dans le gaz, considéré dans la taxonomie de l’Union européenne comme une énergie propre.

Des ONG s’en prennent au « greenwashing » de TotalEnergies

Greenpeace

Le statut revendiqué par TotalEnergies, à savoir celui d’un « acteur majeur de la transition énergétique », fait l’objet de contestations. Après Reclame Finance et Greenpeace qui ont mis en doute les engagements du groupe français en matière de réduction de son empreinte carbone, c’est au tour des Amis de la Terre France, Notre Affaire à Tous et à nouveau Greenpeace France de dénoncer les « publicités mensongères » de TotalEnergies. Ce dernier a en effet assigné en justice le 2 mars dernier pour « greenwashing » et « pratiques commerciales trompeuses » le groupe français. Les accusations portent spécifiquement sur les messages (audio, vidéo, presse écrite) de sa campagne de communication autour des ambitions climat de la compagnie. TotalEnergies y indique notamment son objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et considère le gaz naturel comme un élément clé dans cette stratégie.

« Le gaz fossile est fortement émetteur sur l’ensemble de son cycle de vie », contredisent les ONG qui pointent également du doigt les faibles investissements de l’entreprise dans les énergies renouvelables ou encore le caractère destructeur de la biomasse. « Les agro-carburants sont produits majoritairement grâce à des matières premières agricoles tels que l’huile de palme et le soja », dont la culture intensive détruit l’écosystème naturel.

Mesures pour limiter l’impact de la hausse du prix du carburant

Dans cet océan de publicité négative pour le groupe, TotalEnergies tente de redorer légèrement son image en France. Le groupe a été le premier à répondre à l’appel du gouvernement concernant une baisse du prix de l’essence à la pompe. Le 16 mars, la compagnie a en effet dévoilé une réduction à hauteur de 10 centimes d’euro pour chaque litre de carburant acheté dans l’ensemble de son réseau de stations dans l’Hexagone. La mesure prend effet le 1er avril prochain et durera jusqu’à la fin du mois. Pour les clients de TotalEnergies, ce sera donc 25 centimes de moins sur le prix de chaque litre d’essence acheté, car le gouvernement a également subventionné 15 centimes. Pour rappel, ces mesures d’accompagnement interviennent dans un contexte de hausse de prix de l’énergie, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.